Pendant la grossesse, tout médicament administré par voie générale ou topique et réabsorbé dans la circulation systémique, peut avoir un effet sur la femme gravide ou sur le foetus. En conséquence, le clinicien doit considérer les effets indésirables du principe actif mais aussi son potentiel tératogénique. Le sujet est mal documenté, controversé, et de nombreuses inconnues demeurent.
Grossesse et médicaments: un sujet peu documenté
Pour des raisons légales et éthiques évidentes, la grossesse constitue toujours un critère d'exclusion dans les essais cliniques en ophtalmologie, ce qui explique le flou des mentions légales pour les produits commercialisés.
Les données dont nous disposons sont indirectes:
d'abord précliniques, où les études sont réalisées à doses non thérapeutiques, avec la difficulté d'extrapoler à l'homme (thalidomide, aspirine),
cliniques ensuite, constituées par des données épidémiologiques humaines évaluant le risque d'exposition aux médicaments pendant la grossesse.
Enfin, les données concernant le nouveau-né sont rares.
Des difficultés inhérentes à la maladie glaucomateuse
Le glaucome, dans sa forme la plus
fréquente, est l'apanage du sujet âgé. Peu de sujets
jeunes présentent un glaucome et, parmi eux, une population ciblée
de femmes en cours de grossesse est relativement limitée.
Les formes rencontrées sont essentiellement des glaucomes primitifs
à angle ouvert (GPAO) juvéniles, des glaucomes secondaires
à une uvéite, des glaucomes congénitaux ou dans les
suites d'une cataracte congénitale ou associés à des
malformations. Ce sont en général des glaucomes sévères
au traitement parfois délicat.
Nous devons étudier l'influence de la grossesse sur la pression
intra-oculaire (PIO) chez des femmes normales ou celles présentant
une PIO élevée ou un glaucome, puis le traitement des femmes
glaucomateuses parturientes et l'incidence de ce dernier sur le foetus et
enfin l'accouchement et l'allaitement.
PIO et Grossesse
Quelle est l'influence de la grossesse sur la PIO de femmes indemnes de pathologie et de femmes présentant un glaucome ?
L'abaissement de la PIO en cours de grossesse, essentiellement au 2e trimestre, est classiquement reconnu. La littérature fait état d'une chute de la PIO pouvant atteindre 20% (35% de cette diminution surviendrait entre la 12e et la 18e semaine). Chez les femmes hypertendues ou glaucomateuses, la baisse de PIO serait de l'ordre de 25% et serait surtout importante entre la 24e et la 30e semaine. Toutefois au cours du 3e trimestre, la PIO reste supérieure par rapport à des sujets témoins. Cet effet hypotensif serait parfois encore notable plusieurs semaines en post partum. Dans les 2 groupes, les variations de PIO seraient indépendantes de la pression artérielle (sauf dans le cas de toxémie gravidique), du poids et du nombre de grossesses antérieures.
Les variations de PIO constatées sont expliquées par le bouleversement hormonal induit par la grossesse et accessoirement par l'acidose. Sous l'influence des hormones, l'écoulement de l'humeur aqueuse peut être accru. Les hormones agiraient essentiellement au niveau du trabéculum. Des expériences ont montré des modifications des glycosaminoglycanes du trabéculum liées à la progestérone. Par ailleurs les estrogènes provoqueraient un relâchement des fibres de collagène de l'enveloppe cornéosclérale. Depuis plusieurs années a été évoqué le rôle de la relaxine, hormone proche de l'insuline qui est sécrétée à des taux importants pendant la grossesse. Outre son action relaxante sur les ligaments du pelvis, elle pourrait également agir sur les tissus richement vascularisés. Au niveau oculaire, elle pourrait induire une réduction de la PIO chez des femmes hypertendues par le biais d'une relâchement des tissus collagènes de la sclère et du trabéculum , ainsi que par une vasodilatation du corps ciliaire. En conséquence la production d'humeur aqueuse serait diminuée alors que son élimination serait majorée. Pendant la grossesse, on note également une baisse de la pression veineuse épisclérale.
Les principes du traitement pendant la grossesse
Deux cas de figures peuvent se présenter.
Cas idéal : la PIO est à la limite, sans danger pour le nerf optique : essayer alors de ne pas traiter pendant la période d'embryogénèse (3e à 8e semaine).
Cas le plus fréquent : le traitement est absolument nécessaire. Certaines règles sont à respecter :
ne pas faire de sevrage thérapeutique
ne pas innover : utiliser des médicaments de référence, pas de nouvelles molécules
ne pas associer deux principes actifs de la même classe thérapeutique
pas de demi traitement (dose, durée) qui favorise les effets indésirables sans aucune efficacité
choix de la dose : évaluer la fourchette thérapeutique la plus basse
une seule goutte par instillation et séparer les instillations si une polythérapie est instaurée
différencier la phase précoce et la phase tardive de la grossesse : il existe peu de médicaments contre-indiqués pendant la grossesse, mais surtout des contre-indications pendant certaines périodes
déconseiller le port de lentilles de contact car, outre leur mauvaise tolérance, elles constituent un réservoir de médicaments (sauf si administration bi-quotidienne) pouvant augmenter la toxicité
tenir compte des pathologies maternelles associées (rénales , hépatiques, métaboliques...)
limiter le passage systémique afin d'éviter une toxicité foetale potentielle. Ce point est d'un intérêt majeur dans le cas d'un traitement en cours de grossesse. Après instillation oculaire, (1 goutte de 30µl étant le maximum acceptable par le cul de sac inférieur), nous savons que seulement 10 à 20% d'un collyre (en fonction de ses propriétés physico-chimiques) vont pénétrer à l'intérieur de l'oeil, 60 à 80% étant réabsorbés dans la circulation systémique au niveau des fosses nasales, après passage dans les voies lacrymales d'excrétion. Même si les seuils de détection ne permettent pas toujours d'affirmer un passage systémique, celui-ci demeure réel. Des études ont montré que le passage systémique de principes actifs était très largement diminué en recommandant, après l'instillation oculaire, de fermer les paupières et d'exercer une pression manuelle sur les points lacrymaux. Cette mesure préventive doit être appliquée chez toute personne à risque et en particulier en cours de grossesse.
Classification des médicaments pendant la grossesse
Il existe une classification appréciant le risque potentiel foetal selon une cotation en 5 catégories.
Catégorie A : il n'y a pas de risque démontré pour le foetus.
Catégorie B : les études animales sont négatives mais il n'y a pas de données contrôlées disponibles chez la femme ou les études animales sont positives mais non confirmées chez la femme.
Catégorie C : les études animales sont positives mais il n'y a pas de données disponibles dans l'espèce humaine, il faut donc évaluer le rapport bénéfice/risque.
Catégorie D : le risque foetal est évident, en conséquence il ne faut administrer le produit qu'en cas d'urgence, en l'absence d'alternative thérapeutique moins toxique.
Catégorie X : le risque toxique pour le foetus constitue une contre-indication formelle à l'usage du médicament.
De nouveaux guidelines européens sur les RCP de décembre 1999 demandent de classer les risques médicamenteux pendant la grossesse en 10 catégories.
Classification des antiglaucomateux
Catégorie B
|
Catégorie C
|
|
Les risques en particulier pour les inhibiteurs de l'anhydrase carboniques sont diversement appréciés suivant les sources de la littérature. Toutefois ils ne doivent pas être donnés pendant le 1° trimestre en raison de risque de malformations vertébrales. Les bêtabloquants demeurent la classe thérapeutique la mieux connue pendant la grossesse car largement utilisée pour les toxémies gravidiques. De même la pilocarpine présente un bon profil de sécurité. Le latanoprost est à éviter pour ses risques potentiels de métrorragies ou d'accouchement prématuré.
Chirurgie filtrante et grossesse
Si un traitement médical bien conduit, avec un profil de sécurité optimisé, ne suffit pas à contrôler la PIO et son retentissement sur la fonction visuelle qui se dégrade, une alternative doit être adoptée.
Selon l'arbre décisionnel proposé par Jacob Wilensky et retrouvé dans l'ouvrage de Eve Higginbotham (Management of Difficult Glaucoma), une première étape serait la réalisation d'une trabéculoplastie au laser ou une trabéculoponction si la patiente a plus de 35 ans puis, secondairement dans les cas extrêmes, d'une chirurgie filtrante.
Alors qu'une procédure laser peut se dérouler sans conditions particulières (il convient cependant d'éviter les anti-inflammatoires non stéroïdiens au 3° trimestre), plusieurs problèmes sont posés par la chirurgie.
Le choix de l'agent anesthésique. Peu d'informations sont disponibles. Ce sont des produits qui traversent la barrière placentaire mais sont rapidement métabolisés, donc la quantité qui atteint le foetus est faible (le risque demeure toutefois inconnu). Pendant l'anesthésie une hypotension et une hypoperfusion placentaire doivent être évitées.
Les antimitotiques. Ils sont tératogènes (5 FU, mitomycine). Le 5 FU en sous conjonctival (5mg) est administré en quantité faible par rapport à une voie IV en cancérologie. L'absorption systémique faible délivre une quantité infime au foetus. Le risque pour le foetus est supposé négligeable sauf pendant le premier trimestre où le 5 FU est fortement déconseillé. Il en est de même pour la mitomycine.
En conclusion : il est urgent d'attendre !
Accouchement
Notons les rares cas publiés de glaucome par fermeture de l'angle, survenus au cours du travail et qui pourraient être liés à l'effort d'expulsion ainsi qu'aux produits utilisés pour l'anesthésie péridurale.
Dans le cadre du GPAO, des mesures sont à prendre au cours de la période périnatale.
Lors d'un traitement par bêtabloquant, il est souhaite d'arrêter ces agents 2 à 3 jours avant le travail, si c'est possible, afin de réduire leurs effets sur la contraction utérine et de diminuer les complications néonatales secondaires à un bêtablocage.
La surveillance du nouveau-né sera faite à la recherche d'une hypoglycémie, d'une hypotension ou d'une bradycardie.
Pour les inhibiteurs de l'anhydrase carbonique, la recherche d'une acidose métabolique sera instaurée.
Dans le cas d'un traitement par brimonidine, le traitement sera arrêté avant le travail pour éviter une dépression du système nerveux central ou des troubles respiratoires du nouveau-né
Lors de l'induction du travail par l'oxytocine en IV, il convient de se méfier des variations potentielles de la PIO.
Allaitement
Principes
En dehors de quelques cas rares, il existe pratiquement toujours un passage dans le lait des principes actifs présents dans la circulation maternelle, même si ce passage est faible.
Le danger potentiel est lié à la nature du principe actif, à sa toxicité rapportée à un nouveau-né de faible poids corporel , aux capacités d'élimination hépatiques et rénales réduites, et présentant éventuellement des pathologies. La quantité de principe actif absorbé par le nouveau-né à partir du lait reste difficile à évaluer (environ 1 à 2% de la dose administrée).
Diminuer les risques
Après instillation, recommander à la patiente la fermeture des paupières et l'occlusion des points lacrymaux
Instiller les collyres immédiatement après la tétée, le pic d'absorption des principes actifs (en général 1 à 2 heures) en sera décalé.
Quand il existe trop de risques (pathologies rénales ou hépatiques), conseiller une alimentation par lait maternisé, au moins temporairement.
Les médicaments autorisés
Si l'on s'en tient aux mentions légales des différentes spécialités pharmaceutiques, l'allaitement maternel est déconseillé.
Quel est le risque en réalité ?
bêtabloquants : compatibles avec l'allaitement dans la plupart des cas, cependant surveiller un bêtablocage (hypoglycémie, hypotension, bradycardie)
alpha 2 agonistes : à déconseiller car risque d'apnée, de léthargie, de dépression du système nerveux central, d'hypotension, d'hypothermie ou de bradycardie (brimonidine). L'apraclonidine serait peut être mieux tolérée
inhibiteurs de l'anhydrase carbonique : pourquoi pas sous surveillance (se méfier d'une acidose métabolique ou de perturbations électrolytiques), mais pas en première intention
pilocarpine : pas de données défavorables rapportées, à conseiller
analogues de prostaglandines : pas de données publiées , donc prudence (cependant demi-vie=17 min)
dipivephrine et épinéphrine : à déconseiller en raison du risque cardiovasculaire à type d'hypertension ou de tachycardie.
Rapport bénéficice / risque
Il ne faut prescrire que si l'on estime que le bénéfice qu'en
retirera la patiente est supérieur au risque lié à la
prise du médicament. Ceci est particulièrement vrai pendant
la grossesse où le risque potentiel est double.
La notion de rapport bénéfice/risque est certes satisfaisante
mais souvent les données qui permettent de l'estimer sont très
limitées avec l'impossibilité de connaître qualitativement
et quantitativement le risque encouru par la mère et le foetus. Il
semble toutefois que ce risque soit faible lors de traitement par des
anti-glaucomateux.
A ce titre , je vous encourage fortement à informer dans le cas où
vous avez des données intéressantes de femmes glaucomateuses
traitées qui ont mené à terme une grossesse sans incident.
les
pages
professionnelles sommaire
Réagissez,
commentez, remplissez notre formulaire
© MediaMed - 1067.4 page remise à jour 14 04 02